La paroisse : une communauté liturgique vivante
Mgr Athanase (Jevtić)[1]
LA VIE LITURGIQUE : LE CŒUR DE LA VIE ECCLÉSIALE
La paroisse : une communauté liturgique vivante
Ce texte, rédigé comme l’exposé de l'auteur lors du symposium théologique « La paroisse – une communauté liturgique vivante », a été initialement publié dans « Les Perspectives théologiques 1980/3 » (Теолошки погледи – une revue théologique du Saint Synode de l’Eglise Serbe). Il a été ensuite intégré dans le livre en russe du prof. Nicolas Afanassieff « Le Repas du Seigneur », dans lequel il a été publié sous le titre « La vie liturgique – le cœur de la vie ecclésiale ».
Le texte ci-dessous est une traduction du serbe.
Dans les textes du Nouveau Testament, ceux des Saints Pères et ceux des textes liturgiques en usage jusqu’à ce jour dans l’Église orthodoxe, se cache une identification mystique, mais réelle, entre la Liturgie et la Paroisse. Le terme que nous employons, « Paroisse », ou « Parokia » – du grec Παροικία – est particulièrement significatif. Il reflète la compréhension qu’avait l’Église primitive d’elle-même, en tant que plénitude de l’Église de Dieu, séjournant temporairement (παρ-οικει) en un lieu donné de ce monde. Ce terme est plus approprié que celui de « nourrie » (en grec, ἐνορία), qui désigne une unité ecclésiale limitée, incomplète et non autonome – une réalité qui ne s’est imposée à la paroisse actuelle qu’à partir du IIIe siècle.
Dans l’Église ancienne, le terme Parokia désignait l’Église locale, c’est-à-dire une communauté ecclésiale pleinement autonome, toujours et nécessairement dirigée par un Évêque, et unique en son lieu. Lorsque, au IIIe siècle, les paroisses ont pris leur forme actuelle – en tant que subdivisions d’une Église locale –, elles sont néanmoins restées, jusqu’à aujourd’hui, ontologiquement dépendantes de leur Évêque et de l’Église épiscopale. C’est pour cette raison qu’une seule église en un lieu donné est appelée cathédrale (ou sobornaya). Les paroisses demeurent ainsi rattachées à l’Évêque et à l’organisation épiscopo-centrée de l’Église, car l’Église, avec son Évêque à sa tête, constitue une structure dogmatique et canonique, c’est-à-dire permanente et immuable, de l’Église de Dieu.
En revanche, les autres organisations administratives de l’Église, telles que les structures archiépiscopales, métropolitaines, patriarcales ou autocéphales, ne sont ni des structures dogmatiques ni ontologiques, car elles ne sont pas de nature liturgique. Elles sont donc sujettes à variation et ont évolué au cours de l’histoire de l’Église.
Pour reprendre le langage des théologiens orthodoxes contemporains, l’ancienne Parokia, c’est-à-dire l’actuel Évêché (et, en son sein, la paroisse organisée de manière épiscopo-centrée, donc essentiellement dépendante de l’Évêque), constitue une structure ecclésiale immuable, eucharistique et liturgique. En revanche, les autres structures non eucharistiques de l’Église sont sujettes au changement.
Il convient de noter que cette différence ecclésiologique constitue un point fondamental de divergence entre orthodoxes et catholiques romains dans la compréhension de l’Église. Cela dit, il s'agit d'une question distincte.
Dans les textes mentionnés, on observe une identification entre la Liturgie et la paroisse, c'est-à-dire la communauté ecclésiale épiscopale. Nous aborderons donc dans ce texte, avant tout, la communauté ecclésiale dirigée par un Évêque, ce qui est dogmatiquement correct. En effet, à la tête de chaque paroisse se trouve un Évêque. Sans lui, un prêtre paroissial ne peut même pas célébrer la sainte Liturgie : l’ordination sacerdotale est conférée par l’Évêque, la consécration de l’autel est réalisée par l’Évêque, l’antimension est signé par l’Évêque, et la commémoration de l’Évêque est indispensable pendant la Liturgie.
L’Évêque est le centre visible et la tête de l’Église sur terre, mais toujours en tant qu’Évêque au sein de la communauté ecclésiale rassemblée pour la sainte Liturgie, et non comme un Évêque placé au-dessus ou en dehors de son Église locale (par exemple, en tant que simple administrateur, autorité, ou « personne morale », etc.). L’Église est une communauté en Christ, de Dieu et du peuple de Dieu. La sainte Liturgie (λειτουργία, dérivé de λειτος = du peuple / λεώς, λαός = peuple / et έργον = action, œuvre) est donc l'œuvre de toute l’assemblée humaine, une œuvre commune avec Dieu, en Christ, par laquelle l’assemblée des fidèles est transformée en Église de Dieu.
Le mot même « Église » (Εκκλῆσία) désigne une assemblée convoquée par Dieu, une réponse à cet appel divin, cette réponse étant le rassemblement appelé par Dieu autour du Christ. L’Évêque, dans ce rassemblement, préside, se tenant à Sa place et en Sa ressemblance, comme une image vivante du Christ (εἰς τόπον καὶ τύπον Χρίστου, comme le disait saint Ignace d’Antioche). Il n’y a donc pas d’Évêque en dehors de la communauté ecclésiale, tout comme il n’y a pas de communauté ecclésiale en dehors de la sainte Liturgie, qui est un rassemblement eucharistique des fidèles en Christ.
Métropolite Jean de Doubna, Archevêque des Églises Orthodoxes de Tradition Russe en Europe Occidentale
C’est pourquoi les saints Apôtres instituaient des Évêques comme supérieurs et présidents des communautés ecclésiales locales, des Églises de Dieu complètes dans un territoire déterminé. Leur objectif principal était de guider le peuple et de servir Dieu en priorité (en célébrant les offices divins et la Liturgie), à la tête de la communauté des fidèles d’un lieu donné. Comme le dit saint Paul dans l’Épître aux Hébreux : « Tout grand prêtre est établi pour offrir des dons et des sacrifices à Dieu » (Hébreux 8, 3).
Ou encore, comme le formule la prière ancienne de l’ordination épiscopale dans La Tradition apostolique de saint Hippolyte :
« Seigneur, Toi qui connais le cœur de tous, accorde à ton serviteur que Tu as choisi pour l’épiscopat de paître Ton saint troupeau, de présider en pureté, de célébrer la Liturgie et de T’offrir les saints dons de Ton Église… »
L’Évêque est ainsi le président et la tête de l’Église avant tout en tant qu’archiprêtre, liturge qui préside la Liturgie et dirige la paroisse liturgique, gouvernant le service (la Liturgie) de la communauté liturgique et de prière. Toutes ses autres fonctions, devoirs et droits dans l’Église, découlent de ce rôle liturgique au sein du peuple de Dieu.
C’est par la sainte Liturgie que se révèle et se manifeste le mystère de l’Église dans son unité – en tant que communauté du peuple de Dieu, en Christ, comme le Corps du Christ réel et tangible dans la sainte Eucharistie, accomplie par le Saint-Esprit à travers l’Évêque, autour duquel se rassemblent les fidèles. Cette révélation du mystère de l’Église dans la sainte Liturgie est le fondement de toute œuvre, service, catéchèse et vie dans l’Église. L’Église, en tant que mystère de Dieu en Christ, est donc la source, le fondement et le but ultime de toute catéchèse.
L’Église est avant tout la Liturgie : la communauté ecclésiale rassemblée pour la Liturgie, avec l’Évêque à sa tête et les prêtres et diacres autour de lui. Bien que divisée en paroisses, elle reste ontologiquement inséparable de l’Évêque.
Dans l'Église orthodoxe, il n'existe pas de sacrement de l'Eucharistie comme « un parmi les sept sacrements » au même titre que les autres, mais il existe la sainte Eucharistie en tant que Liturgie, c’est-à-dire le Service divin de toute l'Église. Il est très important de souligner cela, car la théologie scolaire récente l'oublie souvent, et c'est ainsi que nous l'avons appris dans nos manuels scolaires. Mais, grâce à Dieu, la vie liturgique même de notre Église nous ramène à ce qu'est l'Orthodoxie et ce qu'elle a toujours été : la sainte Liturgie comme le mystère [sacrement] même de l'Église, qui englobe tout, de laquelle tout découle et vers laquelle tout converge.
La sainte Eucharistie n'est pas simplement « un sacrement » (même si elle est appelée « sacrement de la communion »), mais elle est la Liturgie de l'Église du Christ, dans laquelle l'Église, en tant que communauté des fidèles, s'identifie à l'Église en tant que Corps du Christ, le Corps eucharistique et ecclésiologique, qui est toujours unique : le Corps du Christ, Dieu-Homme.
Si, en tant que chrétiens, nous voulions identifier de la manière la plus simple l'Église de Dieu pour nous-mêmes et pour les autres dans le monde, si nous voulions montrer et manifester dans l'histoire – hic et nunc (ici et maintenant) – l'identité même de l'Église en tant que telle, nous ne pourrions le faire qu’en désignant la sainte Liturgie, c'est-à-dire la manifestation de la plénitude de l'Église lors du rassemblement eucharistique de tous les fidèles autour de leur Évêque pour l’accomplissement de la sainte Liturgie.
En effet, l’être et la vie de l'Église se manifestent uniquement dans l'acte complet de la Liturgie, dans l’acte de la célébration liturgique et du service de l'Église vivante du Christ envers le Dieu vivant et véritable, par la puissance, l’action et la venue du Saint-Esprit. Ainsi, la vie liturgique de l'Église est la source, le centre et l'essence de toute la vie de l'Église, de l’Évêché et de la Paroisse.
Il n’est donc pas surprenant que, par exemple, l’Apôtre Paul identifie totalement le rassemblement des fidèles pour célébrer la sainte Liturgie avec l’Église de Dieu elle-même. Il écrit, par exemple, aux Corinthiens : « À l’Église de Dieu qui est à Corinthe », c’est-à-dire qu’il s’adresse à la véritable et complète Église de Dieu, le Père, le Christ et le Saint-Esprit, qui demeure dans la ville de Corinthe et se manifeste lorsque tous les fidèles se rassemblent pour la célébration liturgique. Ce rassemblement auquel s’adresse également l’Apôtre, sachant que son épître sera précisément lue lors de cette assemblée, comme elle l'est encore aujourd’hui devant les fidèles lors de la Sainte Liturgie.
En d’autres termes, en écrivant à l’Église, l’Apôtre s’adresse en réalité à l’assemblée liturgique des fidèles, à la communauté liturgique. C’est là la première définition de l’Église : une assemblée et un rassemblement des fidèles. Ce n’est qu’en un sens secondaire que l’on peut concevoir l’Église comme une communauté de croyants dispersés dans un lieu ou dans le monde. Mais même dans ce cas, ces croyants ne sont pas définitivement dispersés ; ils restent toujours appelés et continuellement invités à une Assemblée qui ne se disperse jamais totalement.
Monseigneur Syméon de Domodedovo
dans la Paroisse d'Annonciation à Angers , avec Père Emmanuel, le prêtre de la Paroisse
Même lorsqu’ils se séparent physiquement, ils demeurent appelés et rassemblés dans la communion du Corps du Christ, une communion qu’ils réalisent et manifestent concrètement lorsqu’ils se réunissent dans la Liturgie et s’unissent au Christ et les uns aux autres de la manière la plus intime. Et lorsqu’après chaque Liturgie les fidèles se dispersent, ils reviennent toujours, encore et encore, à cette assemblée – à la Liturgie, à cette communion par laquelle l’Église se manifeste et se reflète comme elle-même, comme l’Église de Dieu, comme une avance, un avant-goût et une anticipation du Royaume de Dieu, comme communauté eschatologique du Peuple de Dieu dans le Christ, réalisée et manifestée dans le monde par la grâce du Seigneur Jésus-Christ, l'amour de Dieu le Père et la communion du Saint-Esprit (cf. 2 Cor. 13, 13 et la Sainte Liturgie [prononcé également] à voix haute au début du canon de l'Eucharistie). En un mot, l'Église s'incarne totalement dans la Liturgie en tant qu’Église catholique [universelle] de Dieu, comme un seul Corps du Christ tout entier.
La Sainte Liturgie, en tant que communauté des fidèles célébrant la Liturgie, qui, dans le Saint-Esprit, forme le Corps du Christ, contient en elle-même, de manière mystériologique, et manifeste également le dessein tout entier de salut de la Sainte Trinité : l’Économie christique de Dieu-Homme incarné pour le salut du monde, accomplie en acte, dans la pratique, car la Liturgie est l’œuvre suprême de l’Église.
La Liturgie est l’œuvre collective de l’Église, par laquelle nous participons (nous nous unissons, nous communions, nous synergisons) à l’essence même de l’Église en tant que Corps et Plénitude du Christ Dieu-Homme. C’est ce que l’Apôtre Paul exprime lorsqu’il dit que la Sainte Eucharistie est la « communion » (koinônia) du Corps et du Sang du Christ : « Puisqu'il y a un seul pain, nous qui sommes plusieurs, nous formons un seul corps; car nous avons tous part à un seul pain » (1 Co 10, 17).
Ou encore, comme le dit saint Jean Chrysostome : « Le Christ, en nous donnant Son propre Corps, a fait de nous Son Corps », de sorte que « nous sommes tous devenus un seul Christ, étant Son Corps ». Il n’y a pas de vérité plus grande concernant l’Église que ce mystère liturgique ecclésial, et c’est pourquoi toutes les vérités, tous les mystères, toutes les réalités et tout l’enseignement de l’Église proviennent de l’être et de la vie eucharistiques de l’Église.
Cette vérité liturgique et ecclésiologique de l’Église s’accomplit par l’action du Saint-Esprit, que la communauté liturgique, dirigée par son Évêque ou par le prêtre qu’il a établi, invoque sans cesse dans la prière (d’où la nécessité absolue de l’épiclèse [invocation du Saint-Esprit] tout au long de la Sainte Liturgie). Le Saint-Esprit descend « sur nous et sur les dons ici présents », transformant le pain et le vin offerts en Corps et Sang du Christ, et nous unissant tous, « nous qui participons à l’unique Pain et à l’unique Coupe », en « un seul Corps du Christ », dans la communion d’un seul Esprit Saint, pour l’accomplissement du Royaume des Cieux (extraits des Liturgies de saint Basile le Grand et de saint Jean Chrysostome).
Dans notre participation à la Sainte Liturgie et à la communion eucharistique, il ne faut pas réduire cet acte à l’idée selon laquelle chacun doit simplement recevoir un sacrement individuel, compris de manière scolastique comme une réalité autonome en elle-même, comme une sainteté objectivée dans une parcelle de pain transformée miraculeusement en Corps du Christ ou dans une goutte de vin devenue Son Sang. Au contraire, la participation liturgique et la communion à la Sainte Eucharistie doivent être comprises comme une communion véritable et vivante des saints dans l’unique Saint Seigneur, comme une communion des saints dans les Saints Sacrements et de l’assemblée dans le Christ (non seulement comme communio in sacris, mais aussi comme communio sanctorum).
En résumé, cela doit être vu comme une assemblée et un partage communautaire dans l’unique et tout-englobant Mystère du Christ (μυστήριου του Χρίστου – Éph. 3,4 ; 5,32 ; Col. 2,2 ; 4,3), qui est l’Église – l’Église en tant que seul et unique Corps eucharistique et ecclésiologique du Christ Dieu-Homme.
Cette communion totale et multidimensionnelle dans la Sainte Liturgie culmine, sans aucun doute, dans la réception du Corps et du Sang du Christ. Cependant, cela ne doit pas être isolé comme un acte autonome, car cela pourrait être envisagé comme une communion en dehors de la Liturgie, comme c’est le cas pour les malades. Une telle communion n’est alors pas la Sainte Liturgie de l’Église. La communion des malades, quant à elle, ne peut être comprise hors du contexte liturgique, car elle est une « main liturgique » tendue vers le malade, un membre de l’Église qui, pour une raison valable et bénie, est absent, comme cela est mentionné au cours de la prière liturgique.
Cependant, ce membre de l’Église, absent momentanément, reste constamment invité et appelé à la Table du Seigneur, au Banquet du Royaume de Dieu qui est offert ici et maintenant, sur terre, dans la communauté des enfants de Dieu. Ce banquet représente une anticipation sacramentelle et liturgique du mystère de la réalisation de la plénitude eschatologique du Banquet du Seigneur dans le Royaume des Cieux, dans le Jour sans déclin du Royaume du Christ, qui sera en réalité une Eucharistie éternelle.
L’Évangile nous parle de cela de manière claire. Il suffit de se rappeler les paraboles évangéliques, comme l’invitation aux noces royales, le festin de l’homme riche pour ses invités, ou encore la pêche miraculeuse qui, dans son filet, rassemble les poissons, ainsi que d’autres paraboles similaires. Ces récits contiennent une dimension eucharistique et liturgique sous-jacente, et ne peuvent être correctement compris et interprétés que dans le contexte de l’Église en tant que Liturgie de Dieu.
Prenons, à titre d'exemple, quelques autres textes du Nouveau Testament pour voir à quel point ils deviennent compréhensibles et clairs uniquement dans le contexte liturgique et dans la réalité de l'Église en tant que communauté. Le magnifique hymne de l'Apôtre Paul, au chapitre 13 de la première épître aux Corinthiens, est souvent considéré comme un sommet du christianisme, un témoignage inégalé de sa grandeur morale et spirituelle. Cependant, cet hymne à l'amour ne peut être compris qu'à l'intérieur du contexte eucharistique de cette épître, car l'Apôtre Paul, des chapitres 10 à 14, parle continuellement aux Corinthiens de leurs rassemblements pour participer à la Sainte Liturgie et des problèmes liés à ces réunions eucharistiques. La recommandation du chemin sublime de l'amour (chapitre 13) présuppose que les Corinthiens peuvent, sans dommage spirituel, c'est-à-dire véritablement et de manière salvatrice, participer à la communauté liturgique de l'Église entière à Corinthe. Lisez ces chapitres de la première épître aux Corinthiens sous cet éclairage, et vous verrez que tous les problèmes surgissent et se résolvent dans le cadre des rassemblements liturgiques et priants de l'Église, dans le cadre de la Sainte Liturgie. C'est pourquoi l'Apôtre exhorte les Corinthiens à tout ce qui est nécessaire pour réaliser la véritable communauté du Corps du Christ, qui est l'Église. Nous revenons donc ici à la constatation qu'il existe une véritable identification de la Liturgie avec l'assemblée liturgique des fidèles, c'est-à-dire une identité entre la Liturgie et l'Église elle-même, en tant que Corps du Christ, en tant que communauté du Fils unique de Dieu avec ses nombreux frères (Rm 8,28-32).
De cela, nous concluons que l'assemblée liturgique des fidèles est la première et fondamentale condition préalable de la Sainte Liturgie et de tout ce qui s'y passe, y compris la catéchèse. C'est pourquoi il existe une règle explicite dans l'Église orthodoxe, écrite ou non écrite, mais connue de tous comme une loi liturgique inviolable : un prêtre seul ne peut ni ne doit célébrer la Sainte Liturgie. Même les moines ermites solitaires connaissent bien cette règle et s'y tiennent strictement. Un prêtre ne peut célébrer la Liturgie s'il n'a pas autour de lui le corps des fidèles, s'il n'a pas la communauté du peuple de Dieu, car la Liturgie est une œuvre commune du peuple de Dieu, une action ecclésiale, une œuvre communautaire, et non une affaire privée ou personnelle du prêtre ou de l'individu.
La Sainte Liturgie est, par nature, une communion et crée une communauté. Par conséquent, il est avant tout nécessaire que nous prenions pleinement conscience et que nous comprenions l’ecclésialité, la conciliarité et la communalité de la Sainte Liturgie. Cela implique un retour à cette compréhension, si présente dans la Sainte Liturgie de notre Église : que la Liturgie est identique à la communauté ecclésiale dans son acte d'accomplissement du mystère de l'Eucharistie, au cours duquel le Fils de Dieu s'offre pour la vie du monde, réalisant ainsi notre salut dans Son Corps unique, dans une seule communion du Saint-Esprit, pour la gloire de Dieu le Père.
La Sainte Eucharistie est la manifestation eschatologique de l’Église ici et maintenant. En elle, et pour nous, se réalise une percée de cet Eschaton dans le monde et dans le temps — ce dernier horizon de notre foi que Dieu a promis et accordé à ceux qui L’aiment, représentant ce qui est préparé et réservé pour nous pour l’éternité. Elle est le mystère du Fils Bien-Aimé et de notre divinisation dans le Bien-Aimé par la grâce de Dieu. Elle est le mystère théanthropique [divino-humain] de l’union et de l’unité de Dieu et de l’homme dans le Christ Unique, dans Son unité en tant que Tête et Corps, ce qui est Son Église.
Dans la Sainte Liturgie, la Liturgie céleste nous est révélée et donnée, comme dirait le [Saint] Évêque Nicolas [Vélimirovitch]. Elle est en effet le contenu de notre éternité en Christ, dans le Royaume éternel de la Sainte Trinité. C’est ce que signifie, dans l’Évangile, la descente des aigles de tous côtés sur le 'corps' (πτώμα – Mt. 24, 28), sur le sacrifice de l'Agneau de Dieu, c'est-à-dire le rassemblement de tous les enfants de Dieu dispersés dans le monde, à l'assemblée au Banquet du riche, aux Noces du Fils du Roi, au mariage du Christ et de l'Église.
Voilà ce que nous révèlent les textes du Nouveau Testament, des Pères de l'Église et les textes liturgiques. Il est intéressant de noter qu'aucun de ces textes ne définit directement la Sainte Liturgie. Il n'y a qu'une seule image forte et réaliste : l’Église comme le Corps du Christ, et cela nous indique à nouveau que l’Église et sa Liturgie sont des réalités qui se présentent de manière anticipée comme données, même par rapport à l'Évangile, à l'Écriture Sainte et par rapport aux autres vérités dogmatiques et morales de notre foi. L’Église et sa Liturgie sont l’espace et l’atmosphère dans lesquels vivent chaque vérité, chaque acte de notre foi et de notre vie, respire et existe normalement et de manière salvatrice pour nous. C’est pourquoi le grand théologien orthodoxe Alexeï Khomiakov avait tout à fait raison lorsqu'il a dit que l’Église orthodoxe ne peut être comprise que par celui qui comprend et saisit sa Liturgie. Car, en réalité, l’Église orthodoxe se manifeste et s'identifie pleinement dans la Liturgie comme l’Église du Dieu Vivant, comme la Maison du Père, le Corps du Christ, le Lieu d’habitation du Saint-Esprit.
Et voilà, ce mystère unique du Christ, grâce à Dieu, vit et existe encore aujourd’hui dans l’Église orthodoxe comme la réalité fondamentale de notre être chrétien et de notre vie. Ma prière est donc la suivante : ne l’oublions jamais. Comprenons d’abord ce qu’est la Liturgie, pour ne pas, de manière ignorante, oser lever la main pour réformer notre Liturgie [orthodoxe]. Tous les succès éventuels obtenus par ces réformes ne seront que des "éclairs" éphémères, et ensuite nous serons vite en train de nous arracher les cheveux en nous demandant ce que nous avons fait et comment nous devons maintenant corriger les erreurs de ce réformisme. (De manière similaire, les chrétiens occidentaux ont agi avant et après le Concile Vatican II, mais il est désormais difficile de rétablir l'équilibre perdu).
Il n’est pas vain que l’Église orthodoxe ait été et reste une Église traditionnellement liturgique, une Église, avant tout au service de Dieu, dans la prière liturgique, de laquelle découle ensuite toute autre activité et action de l’Église. Lorsqu'un évêque orthodoxe russe, dans une situation particulièrement difficile pour l’Église russe, a été interrogé par des chrétiens occidentaux : "Que faites-vous en tant que chrétiens orthodoxes et quelle mission accomplissez-vous dans le monde ?" – il a répondu : "Nous célébrons la Liturgie." Il est probable que les chrétiens occidentaux n’aient pas complétement compris cette réponse, mais cet évêque orthodoxe a répondu de manière tout à fait correcte. Car c’est la seule chose que nous, en tant qu’orthodoxes, puissions faire aujourd’hui en toutes circonstances pour rester fidèles à nous-mêmes, fidèles au Christ, fidèles à Dieu. Tout ce que nous faisons, si cela ne découle pas de l’Eucharistie, ne vaut peut-être pas la peine d’être fait, car ensuite nous devrons peut-être réparer ce qui a été fait sans tenir compte de la Liturgie, car ce ne sera pas salvateur.
Les Douze Saints Apôtres, après la descente du Saint-Esprit sur eux le jour de la Pentecôte, ont immédiatement commencé à se rassembler "au même endroit" pour la prière et le "partage du pain" dans les maisons, c'est-à-dire pour célébrer la Sainte Liturgie. Ils sont issus de cette pratique et y retournaient sans cesse. Ainsi, à travers eux, le Christianisme s’est révélé au monde dans l’histoire comme une communauté, comme l’Église des hommes appelés à se sauver en Christ. Au nom de cette communauté en Christ, ils sont devenus témoins et prédicateurs du Christ, le Sauveur du monde. Ainsi, avec les croyants autour d’eux, ils ont représenté la communauté eschatologique du peuple de Dieu dans l’histoire, et c’est à partir de cette communauté qu’ils ont prêché l’Évangile du Christ et baptisé les gens dans cette communauté, pour cette communauté de l’Église.
Bien sûr, tous ceux qui entraient dans la communauté de l'Église n'étaient pas des chrétiens parfaits ; nous savons que la première Église avait ses problèmes, ses disputes et ses conflits, par exemple à Jérusalem, à Corinthe, en Galatie. Mais le problème n'est pas de savoir s'il y avait ou non des problèmes dans la première Église, mais il est essentiel de souligner que tous les problèmes des premiers chrétiens étaient posés et résolus au sein de la communauté de prière, réunie pour la Liturgie, car c'est de cette résolution collégiale qu'il dépendait qu'un chrétien puisse continuer à participer à l'assemblée liturgique de tous les croyants ou s'il serait exclu, ce qui reviendrait à être exclu de l'Église. En d'autres termes, l'appartenance à l'Église signifiait, dans l'ancienne Église, la participation à la Sainte Liturgie.
Transposé à la situation actuelle, cela signifie que tout ce que nous faisons pour nos croyants, même pour ceux qui ne croient pas encore ou qui n'appartiennent pas à l'Église, doit être fait non pas simplement pour les "convertir", mais pour les relier à l'Église, pour les inclure dans la Sainte Liturgie.
Toute autre activité que nous entreprenons doit être orientée vers un seul but : participer activement à la Divine Liturgie avec nos frères, participer et communier au Repas du Seigneur, car sans cela, il n'y a pas d'appartenance à l'Église et il n'y a pas de vie éternelle. Notre peuple simple le ressent bien et le sait, et c'est pourquoi il dit à propos de quelqu'un : "Telle personne n'est pas chrétienne, elle a abandonné sa foi, car elle n'est jamais allée à l'église, elle n’a pas pris la Sainte Communion", c'est-à-dire qu'elle n'a pas participé à la Sainte Liturgie. C'est donc, pour notre peuple, la dernière vérification pour savoir si nous sommes chrétiens. Même si ce peuple simple ne vient pas régulièrement à l'église et à la Sainte Liturgie, en venant à l'église pendant le Carême et les fêtes – pour assister et participer au Service Divin et recevoir la Communion, il montre qu'il n'a pas perdu la compréhension correcte que seule la participation et la Communion dans la Liturgie sont le véritable signe et la preuve d'appartenance à l'Église de Dieu.
Je dirais ici avec audace que je ne suis pas d'accord avec l'idée selon laquelle notre mouvement pastoral devrait être orienté de l'Église vers le monde, vers les gens, la famille, la société, etc. Au contraire, le mouvement devrait être inversé : des gens et du monde en direction de l'Église, et de la participation à la Sainte et Divine Liturgie. C'est à cela que s’attellent toutes les autres actions et activités de l'Église, tous ses sacrements. Car les actes les plus importants de l'Église, tels que l'enseignement dans la foi, l'introduction dans l'Église par le Baptême, puis la Chrismation, l'Ordination, le Mariage, la Vie monastique, la Pénitence et la Confession, et en général tous les autres rites sacrés, saints Mystères et prières, sont tous orientés vers l'introduction des gens dans la communauté de l'Église et dans la Sainte Liturgie – pour l'union totale avec le Christ comme but final.
Nous pouvons librement dire que tous les sacrements et actes liturgiques sont en fait subordonnés à la Sainte Liturgie, et que cette dernière n'est subordonnée à rien d'autre. Car elle est le sommet et la couronne de tous les sacrements, comme en témoignent sans ambiguïté les Saints Pères, les plus grands liturges et liturgistes de l'Église, comme en témoigne l'ordre liturgique – le typikon de notre Église orthodoxe. Voyons cela de plus près.
Toute la catéchèse de l'Église ancienne était en réalité une mystagogie [initiation aux mystères], un accompagnement vers le mystère du baptême, et le Saint Baptême lui-même précédait la Sainte Liturgie, afin que le nouveau baptisé puisse ensuite participer à l'assemblée liturgique et à la communion des fidèles. Le Saint Baptême, en tant que rite, est resté le même dans notre Sainte Église. Souvenons-nous de ce que le prêtre dit dans les prières lorsque l'enfant, ou aujourd'hui de plus en plus souvent des (jeunes) adultes, sont baptisés : « Seigneur, fais-en un membre de Ta Sainte Église ; édifie-le sur le fondement des Apôtres et des Prophètes ; fais-en un membre du Corps de Ton Christ ; donne-lui le sceau du don de Ton Saint-Esprit, et conduis-le à la communion avec le Saint Corps et le Sang de Ton Christ ». En d'autres termes, nous prions Dieu pour qu'Il fasse du nouveau baptisé un participant au Christ et à Son Corps, le corps ecclésial et le corps eucharistique, qui sont un et le même, comme l'exprime avec sagesse Nicolas Cabasilas. En vérité, par le Saint Baptême, on entre déjà dans l'Église, mais on y entre pour demeurer et vivre dans la communauté et l'unité avec le Christ et Son Corps. La plénitude de cette communauté s'accomplit par la participation et la communion à la Sainte Liturgie des fidèles.
Il en va de même pour le Saint Sacrement de la Chrismation : au nouveau baptisé, ou à celui qui rejoint l'Église Orthodoxe depuis une secte ou une hérésie (pour ceux qui ont quitté l'orthodoxie après le baptême) [ou bien à ceux qui deviennent orthodoxes depuis l'Église catholique], on donne le sceau du don du Saint-Esprit, afin qu'il puisse, ainsi scellé, devenir un participant à la Table du Seigneur – au Pain de la vie et de l'immortalité, qui ne se donne que dans l'Église Orthodoxe. Et la Sainte Chrismation, tout comme le Saint Baptême, était réalisée dans l'Église ancienne avant la Sainte Liturgie, afin que le nouveau scellé puisse ensuite accéder à la Coupe de la vie nouvelle, comme la seule source d'incorruptibilité pour l'être humain corruptible.
Il en va de même pour les autres Saints Sacrements de l'Église : tous étaient accomplis, et aujourd'hui encore ce principe demeure essentiellement le même, avant la Sainte Liturgie, afin que ceux qui les reçoivent puissent ensuite participer à la communauté liturgique et à la communion eucharistique avec les autres fidèles. Prenons l'exemple du Saint Sacrement de la Pénitence et de la Confession. Selon la prière ancienne, qui est encore lue lors de la confession (et non la prière plus récente de Pierre Moghila, dite "d’absolution", rédigée sous influence latine), il est dit : « Seigneur, notre Dieu, salut de Tes serviteurs, Miséricordieux, Bon et Longanime… aie pitié de ce serviteur, pardonnant tous ses péchés, volontaires et involontaires, apaise-le et réunis-le à Ta Sainte Église en Jésus-Christ, notre Seigneur ». Cela montre clairement que le Sacrement de la Confession et du pardon des péchés est étroitement lié à la participation à la Liturgie, qui est une communion avec les autres fidèles, dont le pécheur s'est séparé par ses péchés. Car le péché contre Dieu est simultanément un péché contre le Corps de l'Église, contre la communauté de ses frères. C'est pourquoi la Pénitence et la Confession précèdent aujourd'hui encore la Sainte Communion à la Liturgie.
Quant au Saint Sacrement de Sacerdoce (Ordination), il est aujourd'hui encore indissociablement lié à la Sainte Liturgie, car c'est uniquement lors de la Liturgie que l'on ordonne un prêtre ou un évêque. Le nouvel-ordonné, qui était jusqu'alors laïc (c’est-à-dire membre du laos, le peuple de Dieu), est placé au sein de la communauté ecclésiale vivante afin d'offrir pour elle et en son nom des prières, des supplications et les dons de la sainte Église de Dieu à Dieu (cf. « pour nos péchés et pour l'ignorance du peuple »). L'Ordre sacerdotal est donc inconcevable en dehors de la Liturgie, d'où il n'existe aucune ordination valable en dehors de la Liturgie. À travers le Sacrement de Sacerdoce, c'est précisément cette réunion et ce centrage apostolique-épiscopal-sacerdotal de l'Église entière autour du Saint Trône de Dieu – sur l'Autel de l'Agneau – qui se transmet. C'est pourquoi l'évêque et le prêtre doivent guider le peuple de Dieu et accomplir la Sainte Liturgie devant et pour lui ; ils ne peuvent donc être ordonnés en dehors de la Sainte Liturgie, mais seulement au milieu de l'assemblée priante des fidèles, c'est-à-dire au sein de la communauté liturgique pour laquelle ils sont ordonnés. Il en va de même pour tous les autres clercs de l'Église, mais particulièrement pour les évêques et les prêtres, qui ne peuvent être ordonnés sans être affectés à une paroisse spécifique – ce qui signifie être affectés à un lieu précis de service, à un temple où ils célébreront. Le fait que l'Église Orthodoxe n'ait jamais séparé le rite de l'ordination de la Sainte Liturgie parle beaucoup de son sens. Si l'ordination confère automatiquement le pouvoir de prêcher la Parole de Dieu et de catéchiser, cela signifie également que la catéchèse est indissociable de la Sainte Liturgie, qui en est à la fois la source et le centre, ainsi que son but.
Il en va de même pour le Saint Sacrement du Mariage, qui dans l'Église ancienne était célébré au sein de la Sainte Liturgie (souvent lors de la Petite Entrée), comme nous le voyons aujourd'hui, bien que parfois seulement sous forme d'indices, dans le rite même du mariage (voir également le travail de l'archimandrite Jean Meyendorff Mariage et Eucharistie). Dans certaines Églises Orthodoxes, cette ancienne pratique d'intégrer le rite du mariage au début de la Sainte Liturgie est rétablie, avec la lecture de l'Apôtre et de l'Évangile des nouveaux époux, l'ajout de litanies spéciales, et enfin, les mariés communient au Saint Calice avec tous les autres fidèles. Il en est de même pour d'autres Sacrements, comme le Monachisme, l'eau bénite, et surtout la consécration du Saint Autel. Ces Saints Sacrements sont aussi, selon la tradition orthodoxe, intégrés dans la Sainte Liturgie.
Un des Saints Pères orthodoxes plus récents, Saint Grégoire Palamas (1296–1357), a inclus et affirmé dans sa confession de foi d’évêque cette vérité ancienne et cette pratique orthodoxe: il confesse que la Sainte Liturgie est le cœur, la synthèse et la couronne de tous les autres Sacrements et offices liturgiques. Dans sa confession de foi, il déclare : « Nous vénérons toutes les traditions, écrites et non écrites, de l’Église, et par-dessus tout, la très mystérieuse et toute sainte Communion, la Synaxe, la Cérémonie Sacrificielle (=Liturgie) d’où dérivent la perfection et la sacralité de tous les autres mystères, et dans laquelle, en mémoire de Celui qui s’est anéanti lui-même sans amoindrissement, et a pris chair et a souffert pour nous, selon le commandement prononcé par Sa voix divine, et l’acte accompli de Ses mains, sont consacrés et déifiés les dons très divins, le Pain et la Coupe. Dans ce sacrement se réalise le principe de Vie, le Corps et le Sang du Seigneur, et il est donné, à ceux qui s’en approchent avec pureté, d’y participer et d’y communier, d’une manière ineffable. »
Ainsi, toute la vie liturgique et sacramentelle de notre paroisse est orientée vers la Sainte Liturgie ; elle guide les fidèles et les introduit en elle, car c'est ainsi que l'Église l'a instituée, selon la tradition et le typikon, et dans son sens dogmatique et théologique, établis par les Saints Apôtres et les Pères de l’Église. C'est pourquoi il existe une seule et unique Sainte Liturgie, qui est universelle et commune à tous. Il n'y a pas de Liturgies spécifiques ni privées — ni funéraires, pascales, de carême, ni joyeuses ; même la Liturgie des Dons Pré-Sanctifiés est en réalité une manière solennelle de recevoir la communion pendant le Grand Carême, mais elle n'est pas une Liturgie complète. La Liturgie est une et unique, et c'est pourquoi sa partie centrale — de la Grande Entrée à la Communion — est toujours la même et immuable, elle est toujours la communion sacrée de la Mort et de la Résurrection du Seigneur, la proclamation liturgique de Sa Mort et de Sa Résurrection jusqu'à ce qu'Il revienne (cf. 1 Cor. 11,23-26).
Ainsi, chaque Sainte Liturgie est la Pâque du Seigneur, par laquelle tout ce qui est dans le ciel et sur la terre, toutes les créatures et tous les hommes, tout le temps et toute l’éternité, sont enveloppés et unis. Et elle ne se contente pas de les englober formellement, mais la Sainte Liturgie, dans son essence, est la révélation de la plénitude eschatologique de cette unité de tout et de tous en Christ ; elle est véritablement un avant-goût et une anticipation de ce qui nous sera donné dans le Royaume du Christ, de manière plus directe et plus complète (« c’est ce qui arrivera », comme le dit la prière après la Sainte Communion).
C’est pourquoi notre premier et principal devoir pastoral et catéchétique doit être de catéchiser pour la Liturgie, pour l’Église, pour la communauté eucharistique de l’Église, afin que nos fidèles y participent, car c’est là qu’ils reçoivent la plus grande leçon possible, en action et en pratique, par leur propre participation, une leçon vécue, expérimentale, sur ce qu’est notre foi et ce que l’Église peut nous offrir. Notre catéchisation les catéchisera et les édifiera, leur donnant connaissance et sensation [spirituelle], c’est-à-dire une véritable expérience et un vécu spirituel de la victoire sur le péché et la mort. Car la Sainte Liturgie représente la proclamation et l’incarnation de la victoire du Christ sur le péché, la mort et le diable, et notre participation à cette victoire. La Liturgie est le dépassement et l’abolition de la division et de la fragmentation du monde pécheur, de notre aliénation de Dieu et de nos frères ; elle est, en Christ, le rétablissement de l’unité originelle, centrée sur Dieu, du monde et de la race humaine, comme une seule communauté dans la Maison de Dieu.
Vivant dans un monde et une société divisés et déchirés par le péché humain et le mal démoniaque, asservis par la domination de la mort, nous ressentons notre incapacité à surmonter cette division et cette domination du mal et de la mort, en nous-mêmes et autour de nous. Cependant, en venant à la Sainte Liturgie et en participant à son drame divino-humain de la Mort et de la Résurrection du Christ, en communiant à la victoire du Christ sur la mort et au don de la vie éternelle, nous réalisons et expérimentons dans la Liturgie que ce monde et cette vie ont leur Sauveur et leur véritable salut, car la Sainte Liturgie nous donne un véritable avant-goût, une anticipation de cette victoire divine du Christ, victoire sur le péché et la corruption, sur le mal et la mort, sur notre aliénation démoniaque et la division, tant avec Dieu qu’entre nous.
Le mystère du véritable salut et de la guérison du monde et de toutes les créatures, mais surtout de l’humanité, de toute la nature humaine en Christ, Dieu-homme, nous, les croyants, pouvons en témoigner à nous-mêmes et aux autres dans le monde, en déclarant que « notre foi est ce vainqueur du monde » et « qui est le vainqueur du monde, sinon celui qui croit que Jésus est le Fils de Dieu ». [Le Vainqueur] est Jésus-Christ, Celui qui est venu par l’eau, le Sang et l'Esprit ; et l'Esprit Saint est Celui qui témoigne, car « l'Esprit est la Vérité » (1 Jean 5, 4-6).
En vérité, en sortant de la Sainte Liturgie pour revenir dans le monde, nous savons que nous attend à nouveau la lutte contre le péché et le mal, contre les autorités, les puissances et les esprits du mal célestes[2], comme le dit saint l'Apôtre. Mais nous savons bien que, par le Christ, le mal mondial a été vaincu et coupé à sa racine, et que le salut du monde et des hommes est assuré, à condition que les hommes veuillent croire en Christ pour la vie éternelle et suivre, par la foi et la repentance, Son chemin. Ainsi, la Sainte Liturgie de l'Église n’est pas la victoire finale et ultime sur tout le mal et la mort dans le monde, car si cela avait été le cas, l’histoire serait déjà terminée, la Parousie (le Retour du Christ) et le Jugement Dernier seraient venus immédiatement. La Liturgie est cependant un véritable avant-goût et une promesse de la victoire ultime du Christ et de la nôtre sur le mal et la mort, sur toutes les puissances destructrices et du mal dans le monde, et nous, en sortant de la Sainte Liturgie dans un monde qui est encore dans le mal, sommes des témoins et des prédicateurs de cette victoire du Christ et de la nôtre en Lui. Nous retournons dans un monde qui est dans le mal, mais aussi pour ramener encore et toujours ce monde dans la Sainte Liturgie, comme un gage et une garantie de la victoire définitive de Dieu sur Satan, de la victoire de la vie sur la mort, de l’unité sur la division, de l’amour sur la haine, de la lumière sur les ténèbres, de la vérité sur le mensonge. En revenant du monde, souillés comme des hommes par le mal et le péché du monde, nous savons et ressentons que c’est l’Agneau de Dieu seul qui porte les péchés du monde, et c’est pourquoi nous venons à Lui, déposant devant Lui tous nos péchés, toutes nos morts, toutes nos souffrances, afin qu’Il les lave et les purifie par Son Sang et qu’Il nous donne, dans la communion liturgique avec Lui, un avant-goût du mystère de Son Royaume, Lui – notre Unique Sauveur et notre Unique Salut, l’unique Vainqueur du péché et de la mort, et le Donneur de la vie et de l’immortalité. « Car ainsi Dieu a tant aimé le monde qu'Il a donné Son Fils Unique, afin que quiconque croit en Lui ne périsse point, mais ait la vie éternelle ».
En sortant de la Sainte Liturgie, nous retournons à notre vie quotidienne et à notre travail, mais notre vocation chrétienne et notre tâche sont de faire de toute notre vie, en dehors de la liturgie, une projection de ce que nous avons vu, expérimenté, touché et goûté lors de la Sainte Liturgie. Ce sera alors notre véritable et authentique catéchisation orthodoxe, un témoignage de ce que nous avons vu, vécu et goûté. « Goûtez et voyez combien le Seigneur est bon » — tel est l'appel constant de la liturgie et, je dirais, de la catéchèse de l'Église au monde et aux hommes autour de nous. Nous ne pouvons rien dire ni témoigner de plus grand ou de plus important à ceux qui nous entourent que ce que la Sainte Liturgie nous témoigne expérimentalement : « Nous avons vu la vraie Lumière, nous avons reçu l'Esprit Céleste ». Nous avons vu et goûté la lumière de la victoire ultime du Christ sur le mal et la mort, nous avons reçu et vécu l'Esprit Saint, le Consolateur, qui rend présente et actualise cette victoire du Christ dans la Sainte Liturgie, ici et maintenant, en ce moment historique et dans cet espace géographique où nous vivons. C'est pourquoi la Sainte Liturgie, du début à la fin, est l'œuvre de l'Esprit Saint, une réactivation mystique dans l'Esprit Saint de toute l'œuvre du Christ, du Plan divin de salut et de transformation du monde. La Sainte Liturgie est ainsi une action divine et sanctifiante, une action de grâce, un service, une communauté de l'Esprit Saint (2 Cor. 13, 13), sans lequel il n'y a pour nous ni l’Église, ni Christ, ni Dieu. De là, la Sainte Liturgie n'est pas simplement une action humaine, un rassemblement « collectif », « congrégationaliste » de personnes, ou une coopération philanthropique et de bonne volonté entre des gens, mais elle est avant tout une Communion Divino-Humaine de Dieu et de Son peuple, une communion de la Sainte Trinité Vivifiante et de nous, les croyants et les serviteurs de Dieu, fidèles serviteurs et co-serviteurs de l'Esprit Saint.
La Sainte Liturgie de l'Église Orthodoxe est un fait triomphal, une incarnation vivante de la victoire du Christ sur le monde, mais elle l'est uniquement par le mystère de la Mort et de la Résurrection du Christ, un mystère que la Sainte Liturgie répète constamment de manière mystériologique, gracieuse et réelle. Ainsi, le chemin difficile de l'Église Orthodoxe à travers l'histoire, dans son ensemble et dans chaque paroisse, dans chaque lieu où est célébré le service divin de la fraction du Pain et de la consommation du Calice mystique, a également été un chemin liturgique, un chemin de Croix et de Résurrection, à travers le mystère de l'expérience continue de la Mort et de la Résurrection du Christ et du témoignage de cette Mort et Résurrection du Dieu-Homme. C'est pourquoi la Sainte Liturgie a toujours été le berceau divin et le baptistère de l'Orthodoxie, d'où sont nés les enfants de l'Église du Christ, les saints Martyrs et Confesseurs, les Ascètes et les Porteurs de Croix, de la vraie Foi et de la Vie véritable. De même, la Sainte Liturgie a été la source et la table de nourriture et de boisson pour tous les enfants fidèles de Dieu, pour tous les véritables orthodoxes. Sans la Sainte Liturgie, il n'y a ni vie ni salut pour nous, et c'est pourquoi tout notre travail et nos activités, même s'ils sont hautement moraux, philanthropiques, socialement utiles et progressistes, etc., s'ils ne sont pas liturgiques et centrés sur la liturgie, ne produiront finalement pas de résultats durables, car ils ne conduiront pas au salut final du monde et de l'humanité.
Il est très caractéristique que l'ancienne Église chrétienne et notre Église serbe médiévale aient résolument rejeté et condamné les hérésies messalienne et bogomile, qui enseignaient qu'il suffisait d'être un bon chrétien, pieux et priant pour soi-même (ajoutons, si vous le voulez, aussi charitable et socialement utile), et qu'il n'était donc pas nécessaire d'aller à l'église, de participer à la Sainte Liturgie et de recevoir la communion. Malheureusement, cela reste une croyance et une pratique pour beaucoup encore aujourd'hui, ce qui montre qu'en réalité, ils ne sont pas chrétiens, mais simplement des gens « religieux », semblables aux adhérents d'autres religions, païennes et idolâtres, avant et après le Seigneur Jésus-Christ. Mais, si l'on considère qu'il suffit d'être un « bon chrétien » et de ne pas être ecclésial (« ecclésiastikos », comme le disaient saint Irénée et d'autres Pères de l'Église, contrairement aux hérétiques qui étaient considérés comme des hommes en dehors de l'Église), alors le Seigneur Jésus-Christ n'est pas venu pour eux, comme dirait le Père Justin, car le Christ est venu dans le monde en chair et y est resté dans le Corps de l'Église, venu et resté incarné et consubstantiel pour l'éternité, c'est-à-dire indivisiblement unifié dans sa nature divine et humaine avec l'Église en tant que Son Corps, ce que la Sainte Liturgie manifeste et révèle. Et ce n'est pas seulement une manifestation, mais une réelle présence et participation, notre véritable participation et communion dans ce mystère des mystères unique que l'on appelle le Dieu-Homme et Son Corps.
Enfin, notre foi chrétienne orthodoxe n'est pas seulement notre foi personnelle, une inspiration personnelle, même si elle est charismatique, une inspiration de grâce, comme, par exemple, celle de certains charismatiques, ou même de prophètes et de saints, pris isolément (comme c'est souvent le cas parmi les sectaires, bien que généralement il s’agit des cas autoproclamés et auto-inspirés), mais notre foi personnelle est toujours une réalité ecclésiale, un don ecclésial du Christ à Ses membres ecclésiaux. C'est pourquoi les saints orthodoxes inspirés par Dieu ont toujours été et sont restés des hommes pleinement ecclésiaux, insérés dans l'assemblée du Corps du Christ plus que les autres membres de l'Église. C'est pourquoi leur don de grâce avait un pouvoir et une signification immense pour toute l'Église. Il en va ainsi de l'importance exceptionnelle des Saints Pères dans l'Église orthodoxe. Mais, je pense, il n'est même pas nécessaire de le dire ou de le souligner spécialement, car nous sommes tous d'accord là-dessus. Ce que je veux souligner ici, c'est que dans notre prédication et notre catéchèse, nous, les prêtres, sommes toujours des apôtres et des envoyés de l'Église du Christ, et non des travailleurs individuels, envoyés par quelqu’un, ou autoproclamés, mobilisés au nom de quelqu'un ou de quelque chose, au nom d'une idée, d'un parti, ou de n'importe qui ou quoi que ce soit dans ce monde ou de ce monde. Nous sommes des organes de l'Église, des participants et des membres du Corps du Christ Vivant, guidés et animés par le Saint-Esprit pour accomplir l'œuvre du service de l'Évangile du salut. Nous sommes des organes de l'Église du Christ, non pas dans le sens d'une organisation, mais comme organisme du Dieu-Homme. La Sainte Liturgie est justement la source et la manifestation de l'Église en tant qu'organisme, vivifié et inspiré par le Saint-Esprit. Si l'Église n'était pas un organisme du Dieu-Homme, et si nous n'y étions pas comme des cellules vivantes, des membres vivants de la communauté et de la famille du Fils Unique et de Ses nombreux frères, elle ne se maintiendrait pas en tant qu'organisation humaine, car tout ce qui est humain est fragile et périssable. Et l'Église s'est maintenue et préservée uniquement parce qu'elle a conservé comme cœur la Sainte Liturgie. Cette vérité définit la paroisse en tant que communauté liturgique vivante et elle constitue la base conquise et la source de la catéchèse et de l'évangélisation orthodoxes.
[1] L’évêque Athanase (Jevtich) (8 janvier 1938 – 4 mars 2021) était l’un des disciples proches de saint Justin Popovich. Mgr Athanase Jevtich est considéré comme l’un des plus grands théologiens orthodoxes contemporains. Il a été enseignant à la faculté de théologie à Belgrade et à l’institut Saint Serge à Paris ; Travailleur infatigable, l’évêque Athanase fut l’auteur d’un grand nombre d’ouvrages et travaux théologiques, notamment dans le domaine de la Liturgie, des canons, de l’histoire de l’Eglise.
[2] les autorités, les puissances et les esprits du mal célestes : désigne les démons ou esprits maléfiques
Evêque Athanase (Jevtich) avec le peuple de Dieu
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